Les Aventuriers du Quotidien #1 : Gérard (part.4)

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Gérard-Gilles est kiosquier depuis plus de trente ans. Voici son histoire…

Le texte est intégralement celui qui est sorti de la bouche de Gérard. Je n’ai fait que l’arranger pour que son oralité soit lisible. Tous les passages entre parenthèses et en italique sont des précisions de ma part. Les parties précédentes sont ici : Les Aventuriers du Quotidien #1 : Gérard (part.1)Les Aventuriers du Quotidien #1 : Gérard (part.2) et Les Aventuriers du Quotidien #1 : Gérard (part.3).

Que faire ?

Moi je mets en avant tous les petits titres. Alors que si j’étais un vrai « professionnel », je les mettrais derrière. J’essaie de continuer de les faire connaître (les petits titres), mais c’est vrai que je le fais sur mes gains. Je veux que les gens continuent de s’intéresser à la presse et c’est pour ça que je laisse les gens lire ou feuilleter. Si j’étais un vrai professionnel, je n’en aurais rien à foutre.

Il faudrait aussi que les gens (les kiosquiers) ils s’intéressent à la presse, qu’ils sachent ce qu’ils vendent.

Ce qu’il faudrait faire d’autre, c’est des kiosques thématiques et arrêter les abonnements. Au lieu d’avoir toute la presse dans tous les kiosques, il faudrait un kiosque cuisine, un kiosque décoration, un kiosque politique… Et c’est là que les gens qui s’intéressent à un domaine pourraient faire comme dans la vie. Si tu es dans un atelier de couture, tu ne vas pas te mettre du jour au lendemain à faire du carton.

Concernant les abonnements, c’est avec ça qu’on a commencé à déprécier le produit. Moi je paye cent Le Monde par jours et je les paye (à l’unité) le même prix que si j’en prenais dix ou mille. Avec un abonnement, et encore moins si tu es retraité ou étudiant, tu ne vas presque rien payer pour ton journal. Du coup, le mec habitué au prix de son abonnement, il va me prendre pour un fou : il paye sa revue cinquante centimes par abonnement et elle coûte deux euros cinquante en kiosque ! Et même si ça a toujours existé, la différence n’était pas si énorme qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, ils ont tellement déprécié le produit que ça ne vaut plus rien.

(Je lui demande pourquoi il ne me parle pas de la dématérialisation)

Parce que ça, c’est du vent. Le Financial Times, il y a quatre ans de ça, ils ont annoncé à grand renfort de publicité la mort de leur version papier et la création d’un site qui devait remplacer tout. C’est tellement vrai qu’aujourd’hui, non seulement ils existent toujours en papier, mais c’est la version internet qui n’existe plus. Premièrement, quand un journal, il n’arrive pas à se faire une place au milieu de cinq, six concurrents, comment il veut arriver à se faire une place au milieu de mille concurrents ? Deuxièmement, en milieu urbain, si c’est vrai que tu trouves le journal gratuit sur ton téléphone, dans le même temps tu risques d’avoir le journal le plus cher de ta vie si tu te fais taper ton téléphone Samsung ou Apple… Troisièmement, c’est que ça voudrait dire que les gens s’intéresseraient à la presse, mais que ce qui les arrêterait, c’est le prix. Ce n’est pas vrai. Ce qui les arrête en premier c’est le contenu, ce n’est pas le prix.

Un autre truc, c’est que sur internet, si tu es à l’étranger, tu peux raconter toute la merde que tu veux, comme certains sites de fachos en français le font, il n’arrivera rien. Alors que dans la presse écrite, à partir du moment que tu es distribué en France, tu es astreint à la loi française.

(fin de la parenthèse sur la dématérialisation)

Et en ce qui me concerne directement, car je ne peux que vendre le produit fini, il faudrait qu’ils arrivent à refaire des produits finis qui soient le miroir d’une société et qui correspondent à quelque chose. Il faudrait qu’ils réinventent une école de journalisme digne de ce nom et il faudrait qu’ils arrêtent de vivre des aides ou de vivre de la pub. Pourquoi les mecs vont se faire chier à faire un produit fini et digne de ce nom alors que s’ils le font ils gagneront moins d’argent que s’ils le font mal ? Pour résumer, j’arrêterais l’aide à la presse écrite, qui n’est qu’un moyen d’acheter la paix sociale, et je plafonnerais la part de publicité dans les magazines à un tiers des revenus du journal.

Aujourd’hui on est dans le light. On est dans une société où il n’est plus de bon ton d’afficher ses opinions. Les pures et les dures ça devient de plus en plus rare dans beaucoup de domaines. Aujourd’hui on est dans une société où il vaut mieux être dans le mouv’ que d’affirmer tes différences. On va plus t’expliquer comment rentrer dans le moule, plutôt que te dire comment faire pour affirmer ce que tu es toi. Ce n’est pas la presse qui a changé, c’est la société.

Et toutes ces aides, c’est juste une façon de garder les gens chez eux et que surtout ils ne sortent pas. Et surtout qu’ils ne soient pas plus revendicatifs. Parce que le jour où les riches, qui sont archimilliardaires, ils te donneront suffisamment pour vivre décemment, c’est que ce jour-là, ils le prendront sur leur part à eux. Et les riches, il y a une chose qu’ils ne voudront jamais, c’est donner leur part.

Pour finir, voici une petite sélection de revues choisies par Gérard selon ses critères (sachant qu’il met Fakir, Society et La Décroissance dans le même panier formaté parce que, comme il le dit lui-même : « La différence entre un truc alternatif et un truc qui rentre dans le système, c’est qu’un truc qui rentre dans le système, il vit de ce qu’il dénonce. ») :

  • Le Monde Diplomatique

  • Le Monde Libertaire

  • Politis

  • Regard

  • Manière de Voir

  • Alternative Économique

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5 réflexions sur “Les Aventuriers du Quotidien #1 : Gérard (part.4)

  1. Pingback: Les Aventuriers du Quotidien #1 : Gérard (part.3) – Coco Pop

  2. Un article passionnant ou Gérard nous en dis autant sur l’évolution du monde de la presse que du travail en général tout en évoquant ce qui le passionne dans son métier. Comme quoi on peut avoir un territoire de quelques mètres carrés et être un aventurier de la pensée.

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