Et si 3 millions d’abonnés suivaient une chaîne YouTube plus à gauche que votre grand-père coco ? Et si elle était américaine ? Et si elle s’appelait The Young Turks ?
L.A, Californie. U.S.A. Il est 18h et Cenk Uygur s’apprête à animer une émission de deux heures diffusée en direct comme il le fait depuis onze ans. Au programme : politique et société. Pas de guests people, pas d’humoristes pourris, pas (trop) de petites blagues, juste un gars et sa bande de journalistes énervés. Bienvenue chez The Young Turks.
Mais reprenons depuis le début.
Un mégalo de droite…
Fin des années 90. Cenk Uygur fait des études de droit et est un fervent républicain. Il fait chier tous ses potes de fac en ouvrant sa gueule sur tous les sujets qui passent. Le genre à avoir un avis réac’ sur tout. Relou, quoi. Il va jusqu’à s’incruster dans une TV locale pour animer une sorte de podcast où il soliloque en prenant des appels de mamies insultantes. Très excité, il prêche tout et n’importe quoi dans un désert d’audience.
Mais il est content et réussit même à se faire embaucher en tant qu’interviewer de rue dans une émission à la Ruquier sur une petite chaîne nationale. Malheureusement, il est tellement mauvais dans cet exercice qu’il se fait virer au bout de sa première intervention. Heureusement le présentateur de l’émission Ben Mankiewicz, très progressiste, l’aime bien et le prend sous son aile, ce sera son Obi-Wan gauchiste.
…vire violemment sa cuti
Grâce au travail patient de son Jedi, Cenk va réaliser l’inanité de son propre parti. Car malgré tous ses défauts et son physique de catcheur mexicain, Cenk Uygur a du mal avec les injustices or, c’est quand même un peu la spécialité des républicains. Déjà bien déçu par le premier mandat de Bush Jr, sa réélection fera basculer définitivement Uygur du côté moins obscur de la force. Il y aura mis le temps, mais ce sera radical.
Il passe alors de réac bruyant à ultra-progressiste bruyant. Il ne lui manque plus qu’un haut-parleur. Il décide ainsi de créer une radio indépendante à défaut de pouvoir se payer un plateau télé. Contre toute attente, Ben Mankiewicz va lâcher son émission et suivre son jeune padawan. Ensemble ils vont créer la première version de The Young Turks. Cela va durer deux ans.
L’indépendance est la force de la toile
Pour construire sa radio, Cenk Uygur emmène avec lui toute une équipe de bras cassés qui fait halluciner Ben Mankiewicz. Mais à force d’acharnement et d’une foi que seuls le militantisme ou la religion peuvent apporter (choisis ton camp), la première version de The Young Turks fonctionne. Bavarde, vivante, énervée, cette nouvelle radio indépendante se fraie lentement un chemin au milieu des très nombreuses autres radios progressistes. Mais ce n’est pas suffisant pour Cenk, d’autant plus que ses potes ont la dalle et que la foi militante c’est sympa, mais ça les fait pas bouffer des masses. Et là, un miracle apparait : YouTube.
En 2006, The Young Turks déménage sur le Net pour se rapprocher du rêve de Cenk : avoir son émission télé. Bon, ce ne sera pas vraiment la télévision, mais qu’importe, tant qu’il peut, lui et son équipe, s’exprimer devant une caméra en toute indépendance. Et ça marche. En l’espace de quatre ans, The Young Turks atteint 13 millions de viewers par mois, peut enfin payer correctement ses collaborateurs et même embaucher. Ce succès est aussi à mettre au crédit de celle qui deviendra l’autre vedette de TYT : Ana Kasparian. Arrivée aux débuts de la chaîne, elle est le pendant au moins aussi virulent de Cenk Uygur.
L’émission d’info la plus regardée au monde

Le logo du Network
Aujourd’hui, The Young Turks, c’est plus de 3 millions d’abonnés, plus de 3 milliards de vues et une moyenne de plus d’un million de dollars par an de revenus YouTube (source socialblade). C’est aussi un site avec du contenu payant et un network étendu à plus de 20 chaînes/émissions maisons ou coproduites. Cenk Uygur, l’ancien républicain musulman, peut être fier de lui, il a créé un des médias indépendants le plus populaire du web anglophone et qui se trouve être, en plus, ultra-progressiste et militant. Bon, après, l’omniprésence du bonhomme peut être gênante (Méluche style) et un peu plus de diversité (femmes et/ou racisé-e-s) sur sa chaîne principale serait la bienvenue, mais ce n’est déjà pas si mal !
Car en France, on ne peut pas dire qu’on ait d’équivalent. Des débats d’idées en radio ou en télé autour de sujets d’actu il y en a des tonnes, mais les idéologies représentées vont essentiellement du PS au FN, soit uniquement la droite. Et sur la toile française ? Rien, que dalle, nada. Pourtant il y a de plus en plus de prises de position réellement progressistes et populaires (Usul, Mathieu Sommet, Nota Benne, etc.), mais tellement disparates que c’est à se demander s’il n’y a pas une réelle peur d’affirmer ses idées de gauche autrement que dans son coin. C’est con, l’autre camp n’hésite pas à s’organiser médiatiquement, lui…
Et pour finir une des vidéos les plus emblématiques de The Young Turks (sous-titres anglais et espagnols) :
L’essentiel des infos sur la naissance de TYT a été puisé dans le documentaire Mad As Hell.
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