
CC amanda lohr
La mer au loin s’avance. Je n’ai pas besoin de bouger de mon bout de terre. Rien à faire. Je ne suis même pas sûr que ce soit une marée. Depuis que je suis sur cette plage, rien ne se passe comme avant. Je n’ai plus faim, plus soif et je ne me sens plus respirer. Je sais que je suis bien trop athée pour être au purgatoire. Alors ? Aucune idée. Peut-être que je n’ai pas été suffisamment sage et que c’est une punition par l’abandon. Peut-être un rêve un peu effrayant.
Je regarde mes pieds dans le sable et remue mes orteils pour vérifier qu’ils m’appartiennent toujours. Je fixe l’horizon sans trop chercher à y trouver une voile. Le ciel est limpide, le soleil plein et la mer frémit. Rien à craindre, rien à attendre, rien à espérer. Puis la mer s’approche. Toujours sans bruits. Paisiblement. Comme une promesse de disparition indolore quand elle me recouvrira lentement. Presque amoureusement.
Je n’ai plus vraiment d’identité. Je ne sais pas vraiment si je suis homme ou femme, mon sexe est parfois mâle, parfois femelle. Une mutation permanente. Comme une blague pour me faire comprendre que tout cela n’a aucun intérêt. Mais ce qui m’inquiète un peu, c’est que je n’ai plus de désir. Et sans désir, pas de vie. Pourtant, je suis certain d’être en vie quelque part. Depuis combien de temps est-ce que je me pose ces questions ? La mer m’embrasse doucement les pieds, maintenant. Va-t-elle me répondre ?
Je me rends bien compte que je ne ressens pas vraiment l’eau sur la moitié de mon corps. Je ne fais que me rappeler les bains méditerranéens de mon enfance. Du froid très supportable ; puis l’habitude devient chaleur. C’est triste, je n’ai plus aucune sensation réelle. Enfin… Je trouve cela triste, mais ce n’est aussi qu’une vue de l’esprit. Comme les quelques lignes pathétiques d’un roman. D’une nouvelle. L’eau m’arrive maintenant au niveau de la poitrine, je ne flotte même pas.
Me voilà submergé et je n’ai aucune idée de ce que je dois ressentir. De la peur ? De la reconnaissance ? Du vertige ? Le sable se dérobe petit à petit sous mes pieds. Il s’éloigne discrètement, il ne veut pas déranger. Dommage, il était la dernière chose tangible qu’il me restait dans ce monde devenu liquide. Il semble que je n’ai pas non plus le droit à l’impression d’apesanteur. Je ne suis qu’une enveloppe corporelle toute droite. Si ma tête se détache, je ressemblerai à un point d’exclamation inversé.
Je me rappelle soudainement que je ne respire pas et ça m’étouffe. Je panique. L’angoisse me rappelle à la vie. J’essaie de crier. En vain. Mais la mer a pitié et se retire pour faire place au soleil. Le sable revient brusquement. C’est un choc bienveillant. Me revoilà debout face à l’immensité liquide. Je n’ai que quelques secondes pour réaliser que tout va recommencer. Heureusement que je vais tout oublier, sinon ce serait l’horreur. Il n’y a rien de pire que d’avoir conscience de revivre toujours la même chose, non ?