Ils ne savaient toujours pas pourquoi ils étaient montés dans cette barque. Ils se regardaient comme deux voyous en train de prendre joyeusement conscience de leur méfait. Et malgré l’essoufflement et la peur dus à cette fuite acharnée, ils se mirent à rire. Une libération nerveuse qui s’exprima si violemment qu’elle fit tanguer dangereusement leur ridicule embarcation. L’un des deux, Jérémy, faillit même rejoindre les poissons, mais cela ne fit qu’accroître leur hystérie.
Ils avaient quand même réussi à fuir la gendarmerie avec une audace telle qu’ils n’en revenaient pas eux-mêmes. Déjà, rien que l’idée de braquer la caisse de la fête « Saucisson et Cassoulet » organisée par le maire FN ce n’était pas mal, mais, en plus, semer les gendarmes adipeux de la commune à travers champs pour finir sur une barque abandonnée, c’était le sommet de leur courte carrière de malfaiteur. Ils voyaient encore la tête cramoisie des trois képis au bord de l’apoplexie.
Ils mirent cinq bonnes minutes à se calmer et réalisèrent enfin qu’ils étaient en train de dériver dangereusement vers le large. La rive de ce lac géant n’était pas suffisamment éloignée pour les faire paniquer, mais l’absence de rame pour la rejoindre ne les rassurait pas outre mesure. Pascal enjoignit donc Jérémy à pagayer avec les mains. Ils s’échinèrent en vain, et leurs efforts ne se résumèrent qu’à de maigres clapotis à peine capables de troubler la surface de l’eau.
Ils s’arrêtèrent et reprirent leur souffle (le visage des gendarmes leur revint à l’esprit, mais c’était moins drôle). Ils étaient trempés de sueur. Jérémy se mit torse nu et devisa sur le fait qu’il ne comprenait pas qu’un lac puisse autant les faire dériver. Pascal, toujours très rationnel, émit l’hypothèse d’un courant sous-terrain qui s’était échappé à cause du changement climatique. Jérémy ne voyait pas bien le lien et s’essuya le front avec son t-shirt. La cassette dérobée tanguait mollement entre eux.
Pendant dix minutes, ils n’échangèrent que quelques mots, puis ce fut la panique. Un bruit de moteur se fit entendre et ils aperçurent un Zodiac se rapprocher beaucoup trop vite d’eux. Ils se remirent à clapoter de toute leur force, en vain : le Zodiac était déjà là. Ils interrompirent leur inutile tentative de fuite et, sans même se retourner, levèrent les mains en l’air. Une voix chaleureuse et féminine s’éleva du bateau pneumatique :
– Bah alors les gars, qu’est-ce qui vous arrive ?
Ce n’était pas la voix de la gendarmerie, mais celle d’une pêcheuse qui avait cru reconnaître la barque d’un ami. Elle ramena les deux hommes sur la terre ferme sans trop poser de questions. Ils insistèrent longtemps pour la dédommager, mais elle ne voulut rien savoir. Ils ouvrirent alors la cassette pour leur montrer à quel point ils étaient riches. Le montant de la cagnotte la fit beaucoup rire. 50 euros. En même temps, c’est vrai qu’il n’y avait pas eu grand monde à cette fête.
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