Publié ! #3

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Présentation par l’éditeur les Éditions Rue Saint Ambroise (en collaboration avec le Musée National de l’histoire de l’immigration)

« Les nouvelles qui composent ce recueil sont le fruit d’une rencontre entre un écrivain et un migrant parisien. Le migrant a confié son expérience à un écrivain qui à partir de son témoignage a élaboré une fiction.

Afin de saisir l’expérience migratoire dans sa diversité nous avons convoqué des migrants d’origine et de condition très diverses. On y trouvera dix origines différentes, mais aussi divers types d’immigration, des réfugiés politiques aux immigrés économiques, en passant par les expatriés.

L’objectif commun de ces textes est de retrouver, par-delà les idées reçues et les discours lénifiants, l’expérience réelle du migrant et d’apporter au témoignage une dimension de vérité qui sans le passage à la fiction resterait à jamais inconnue. »

Début de ma nouvelle Yoldaş :

Décembre. Baki est assis sur un banc et distribue la fin de son sandwich aux oiseaux éternellement affamés d’un petit parc parisien.

Ils me font rire ces oiseaux. Je ne sais pas comment on les appelle en français. « Moineau », je crois. Ils sont entourés de gros pigeons et essaient de chaparder des restes à ces maîtres du ciel parisien. Ils sont rusés. Certains attendent qu’un balourd secoue suffisamment un bout de pain pour que les miettes volent et ils se mettent alors à courir vers cette pitance qui pleut autour du maître. La théorie du ruissellement appliquée… Il y en a d’autres, plus pervers, qui viennent piquer la miette d’un de ses camarades moineaux. Et enfin, il y a ceux qui partagent et ce ne sont pas les moins nombreux. Ils se regroupent tous en tas autour d’un gros rebut de pain jusqu’à ce qu’un des pigeons s’en aperçoive et les chasse sans se battre grâce à sa stature de bouffi imposant. J’aime beaucoup le fait qu’ils aient un rapport de force proche du nôtre. Et puis eux, au moins, ils n’ont pas de prisons. Ils n’ont pas de prisons non plus pour bâillonner les idées.

Baki se lève doucement de son banc. Il a rendez-vous avec Yalçin qui a été libéré il y a trois mois. Le temps de faire ses papiers et de rejoindre un bout de famille réfugiée à Chartres, le voilà maintenant à Paris pour trouver du travail. Cela fait trois ans que Baki ne l’a pas vu. Trois ans que lui-même a quitté la prison. Trois ans qu’il cherche de nouveaux camarades dans un métier qui n’est pas le sien, dans une ville qui n’est pas la sienne et dans un pays qui ne voudra jamais tout à fait être le sien.

Je me demande comment il va. S’il n’a pas perdu cette joie qui nous agaçait parfois tellement elle montrait un déni de notre réalité. Il était si jeune. Seize ans, je crois. Moi ça devait faire deux ans que j’y étais et j’allais avoir 25 ans. Il était fier d’avoir été enfermé, cet imbécile heureux. Une exaltation que l’on comprenait même s’il nous arrivait de lui donner des coups de pied au cul amicaux, histoire de calmer légèrement son enthousiasme juvénile. Cela aura mis six mois pour que la prison le transforme en adulte et qu’il pleure enfin dans son lit comme tout le monde. Mais sa joie continua malgré tout d’éclairer nos journées. Il était une petite ampoule trop vive sans laquelle nous aurions été plongés un peu plus dans le noir. Nous avons partagé la même cellule pendant deux ans. La dernière chose dont je me souviens quand j’ai quitté la prison, c’est les larmes qui recouvraient son sourire éternel. La vision de cette pudeur maladroite est rivée en moi et j’espère la retrouver intacte aujourd’hui.

(…)

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