Short Nouvelle #1 – Ce qui ne me tue pas

CC Lucky Billie

CC Lucky Billie

Graham est debout devant la porte. La brutalité avec laquelle elle s’est refermée l’a laissé tremblant. Le claquement résonne encore dans ses oreilles endolories. Il observe un instant le paillasson et son ironique « welcome » ne l’apaise qu’un instant. Son cœur est encore trop bruyant et l’empêche de se concentrer sur ce qu’il va faire ensuite. Il laisse alors son corps décider. Merci.

Un premier pas vers la première marche. Il se demande comment ses jambes arrivent encore à le soutenir. Il se demande si elles ne vont pas lâcher. Il se demande si elles aussi ne vont pas l’abandonner et le laisser rouler le long de ces trois étages qui le séparent du rez-de-chaussée. S’il n’avait pas à en subir les conséquences douloureuses, cette idée ne lui déplairait pas. Cela ne nécessiterait aucun effort et lui permettrait de s’abandonner à la seule chose tangible : la gravité.

Un deuxième pas sur une deuxième marche. La machine est en marche. La descente inexorable vers la sortie de l’immeuble est maintenant une nouvelle réalité. Sa main se pose délicatement sur la rampe en bois brun ciré. Il la laisse glisser. Cela ne sert pas à grand-chose, mais le contact sensuel de ses doigts avec la matière lui apporte un certain réconfort. Comme un rappel à la vie. Il ferme les yeux et se laisse guider par ses membres. Il aimerait que son esprit soit resté derrière la porte qui claque.

*

Un ciel bleu pâle d’hiver accueille Graham à l’extérieur. Il est ébloui, cela l’empêche de continuer. Le monde se rappelle trop soudainement à lui : bruit, humains, béton, voiture, froid, odeurs. Il sort lentement du coma émotionnel dans lequel il se trouvait. L’espèce de flou intra-utérin se dissipe lentement. Il cesse peu à peu de subir le martèlement sonore des battements de son cœur. Il regarde la vie autour de lui et sourit, après tout, il en fait partie. Même maintenant. Même blessé. Même mort.

Un premier pas. Cette fois c’est lui qui a motivé son corps. C’est le début d’une série de petites victoires qui le mènera peut-être jusque chez lui. Il s’est même persuadé de ne pas regarder ses pieds. Il ne veut pas se laisser entraîner par la facilité de son désarroi. Il cherche la confrontation du monde. Le visage des gens, les devantures de la consommation, les graffitis, la façade des clapiers haussmanniens, les toits et même le ciel. L’existence des autres lui fait oublier la sienne.

Une infinité de pas. Cela fait longtemps qu’il est passé devant chez lui. Il en a conscience et en ressent même une certaine fierté. Il ne retournera pas tout de suite dans son nid. Il veut profiter encore de cette liberté douloureuse. C’est exactement ce qui le détermine à présent : aller de l’avant en arborant un brouillon de sourire et finaliser le bonheur esquissé. La seule difficulté maintenant est de continuer d’ordonner plutôt que de subir. Heureusement, la porte a claqué et s’est verrouillée. Il ne peut plus reculer.

Vous pouvez commenter, partager et me suivre ici et . Merci.

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