– Merdasse de trésor !
De rage, la capitaine Black Lily se met à planter son sabre frénétiquement dans le sable, comme si elle voulait assassiner violemment cette île qui refuse de lui livrer son secret. Le restant de l’équipage du Lady Fox la regarde hébété, épuisé lui aussi après cette journée de recherche infructueuse. Ifeme-Chima se dirige lentement vers celle qu’elle seconde depuis maintenant plus de six ans. Elle saisit sans ménagement le poignet de la capitaine. Les deux femmes se toisent avec colère.
– Tu vas tout de suite te calmer, Lily.
La capitaine tente sans un mot de se défaire de l’emprise de son amie, mais la puissance de cette dernière en a fait sa réputation. Les yeux de Black Lily défient furieusement cette autorité malvenue.
– Sinon quoi, Ifeme ? Tu vas me foutre une tarte devant tout le monde ?
– Peut-être.
Black Lily ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire. Une lueur de malice traverse les yeux d’Ifeme-Chima. Les lèvres des deux âmes sœurs se mettent à trembler imperceptiblement. La capitaine est la première à céder au rire. Ifeme la rejoint dans un éclat. L’équipage les imite d’autant plus bruyamment que le soulagement est grand.
*
L’attaque de la frégate anglaise cinq jours plus tôt avait failli venir définitivement à bout du légendaire Lady Fox. Dès que la vigie repéra le petit navire, Black Lily en ordonna la poursuite. Ifeme-Chima trouvait cela louche, une frégate seule, sans défense et, surtout, voguant si lentement. Mais comme à son habitude Lily se moqua de la prudence de sa seconde, d’autant que les ressources du Lady Fox s’amenuisaient. Ainsi, la seule loi que connaissent les pirates étant la nécessité, Black Lily lança l’abordage.
Les canons n’eurent même pas à résonner. Aucune âme ne semblait gouverner la frégate. Les trois quarts de l’équipage du Lady Fox se lancèrent alors à l’assaut. Mais la hargne habituelle n’y était pas. Les hurlements afférents à ce genre d’initiative belliqueuse se firent rares et presque gênés contrairement à ceux d’horreur et de douleur qui suivirent l’explosion spectaculaire. Les barils de poudre entreposés dans la cale du petit navire piégé remplirent parfaitement leur office.
*
Tout l’équipage est rassemblé autour d’un grand feu de camp à quelques mètres de la mer. L’humeur est plutôt maussade. Certaines pensent à leurs camarades perdues dans l’explosion, d’autres à l’incertitude de leur avenir immédiat. Quelques-unes essaient de trouver des raisons d’espérer, que le Lady Fox est encore réparable, qu’elles trouveront sûrement le trésor demain, etc. Ifeme-Chima médite sur la chance incroyable que Lily et elle ont eue, à la fois de s’en sortir, mais aussi de trouver ce bout de carte.
Soudainement, une des trois femmes, dont Black Lily, qui continuaient désespérément les recherches en sondant le sable se met à crier.
– Ça a fait poc poc ! Ça a fait poc poc !
Comme une seule femme, les restes de l’équipage du Lady Fox se précipitent vers l’origine des cris et se mettent à creuser frénétiquement. Le trésor découvert est plus proche du coffre à bijoux que de la malle, mais cela n’altère pas l’espérance du jour meilleur. Quelques lettres, un titre de propriété et un collier en or incrusté de lapis et de rubis. Black Lily et Ifeme-Chima se regardent en souriant. Il y a juste de quoi réparer et ravitailler le Lady Fox. C’est bien suffisant.