Short Nouvelle #11 – Mi, la, ré, sol

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Les mains se délient. Fais-moi vibrer tout ça. Exprimer du son en frottant des cordes. Un peu de mi. Un peu de la. Ré. Sol. Quatre cordes pour dire de la musique. Le langage universel à portée de doigts. D’une infinie tristesse à un rire gras. D’une tête concentrée à un cul qui remue. Devant un parterre comble qui s’ennuie poliment ou devant trois potes en folie persuadés du génie de l’incompris. Seul l’instant persiste. Comme l’urgence de terminer une phrase de peur que ce soit la dernière.

Benveniste dégouline. Ses mains moites triturent valeureusement les cordes de sa StingRay. Il a peur de s’électrocuter, mais le rictus débile qui le défigure prouve qu’il reste malgré tout à l’écoute. Il peine à suivre le rythme du morceau, trop rapide pour la médiocre vélocité de sa main droite. Têtu comme un ado en pleine crise, il s’accroche et refuse de passer à la croche. Ce sera la double ou rien, quitte à tirer le groupe en arrière. Le batteur ne lui en veut pas, au contraire, il l’encourage dans sa folie prétentieuse.

Une religion sans dieu faite de prières extatiques dans une communion harmonique.  À la recherche d’un péché original. Que ce soit lors d’un solo onaniste ou d’un orgasme simultané, les yeux, la bouche et le nez ne servent plus à rien. Deux sens suffisent à appréhender l’impossible. Deux sens pour nous gouverner tous. Deux sens pour nous faire goûter des odeurs multicolores. Virtuose ou support technique, le bassiste est un moine essentiel. Dédié et consacré.

Tous les musiciens sont maintenant tournés vers Benveniste. Ils sont heureux comme des diables en sueur libérés des enfers. Ils le soutiennent dans cette douleur bruyante, à deux doigts de la rupture d’anévrisme. Ils lui font confiance parce qu’il en chie. Sans peine, pas d’inspiration ; sans peine, pas de progression ; sans peine, pas de musique. Benveniste prie pour que sa main ne se tétanise pas. Il faut qu’il arrive au bout de ces 24 mesures à 220. Plus qu’un devoir, une quête.

Savoir s’abandonner. Avoir une confiance aveugle dans l’indicible. Pouvoir sauter dans le vide sans connaitre la réception. Il n’y a de fausses notes que dans la peur de l’inconnu. Arriver à dépasser le « faire » pour enfin réussir à articuler une émotion. Le vocabulaire comme moyen, jamais comme une fin. Libéré d’une contrainte confortable, le risque devient la première gamme. L’indispensable c’est la tripe. Le reste n’est qu’un fantasme de technocrates frustrés de ne pas avoir appris à respirer.

Enfin la ronde liée. La belle, la grasse, la tempérée. Benveniste a délaissé ses grimaces pour un sourire extatique. Le voilà, cet exutoire après lequel il a couru si longtemps. Un do tout con à faire vibrer infiniment sous un doigt corné. Tout le groupe est en suspend autour de cette note partagée. Seules l’ouverture et la fermeture métronomiques de la charleston leur rappellent que le morceau n’est pas encore terminé. Ces quelques secondes de réoxygénation ne sont pas une récompense, elles sont une raison de vivre.

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