Short Nouvelle #12 : Au commencement

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Tu es assise sur cette chaise dans cette brasserie de banlieue et c’est la première fois que je te vois. Après avoir passé des heures à jouer notre intimité au téléphone, nous passons à la réalité. Bien sûr il a fallu que nous marchions de la station de train jusqu’au bar, mais nos regards fébriles n’osaient trop se croiser, nos corps risquaient d’interférer avec nos voix. C’était bien les voix… Mais mon impatience a eu raison de toi au bout de cinq jours et cinq nuits de complicité naissante. Mes yeux voulaient confirmer ton existence.

Tu as passé la nuit chez une copine, tu es à peine maquillée et tu viens d’enlever ce blouson d’hiver informe. Un thé pour toi, un café pour moi. Tu t’en fous un peu que je sois là, ce n’est pas ta première fois, et contrairement à moi, l’échange vocal te suffisait. Tu préfères entendre les histoires et je te force un peu à raconter la nôtre de vive voix. Je n’avais encore jamais essayé ces agences de cœur et corps perdus en 2.0. Tu as été une des premières à me répondre et grâce à toi, je n’y suis plus retourné au bout de trois jours.

Nos corps ne sont pas suffisamment canoniques pour que cela soit notre source de séduction principale. Nos visages nous suffisent ; un sourire, un regard. Et puis, l’indicible se met en place, nos humeurs se combinent étonnamment. Je suis un intello complexé, tu es une intello refoulée. Je suis un militant d’appartement, tu es une travailleuse dépolitisée. J’aime la foule autant que tu la hais. Mais nous rions de nos blagues. Mais nous avons la même liberté. Mais notre odeur invisible nous enchante.

Nous nous retrouvons dans la même ville une semaine plus tard. Une semaine durant laquelle, sans te le dire, je n’ai pensé qu’à te sentir contre moi, à vouloir ta chaleur et ressentir ta peau. Juste un échange de tendresse. C’est le soir cette fois et le bar où nous allons est plus personnel que la brasserie anonyme de la dernière fois. La gêne de la deuxième rencontre s’estompe rapidement. La bière nous aide à lever nos barrières. Tu me montres ton épaule tatouée pendant que j’essaie nonchalamment de t’effleurer.

Il est presque deux heures du matin. Le bar est fermé. Sans en arrière pensées, tu me proposes d’aller chez toi, dans la ville d’à côté. Le dernier train évidemment raté, nous errons au milieu d’une nuit d’hiver dans cette ville bourgeoise. Tu retrouves des clés et nous voilà dans la vieille maison d’un parent disparu. Un petit chauffage ronronne bruyamment et nous endort sous un couvre-lit désuet. Tout habillé, mon émoi contre toi, je te serre fort dans mes bras.

À cinq heures du matin, pour éviter d’être surpris dans un lieu plein de fantômes qui ne t’appartiennent pas, tu m’accompagnes au train qui me ramènera chez moi. La porte du wagon s’ouvre et je ne supporte pas l’idée de n’avoir que tes joues en guise d’au revoir. Tu te laisses embrasser furtivement, rechignant à interrompre la parade de séduction sachant que cela va sceller notre pacte d’être enfin seul à deux. Cinq ans plus tard, cet embryon d’amour a vu le jour, fait ses premiers pas, sa crise d’ado et le voilà maintenant adulte. Un adulte qui aura toujours vingt ans.

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