Le corps nu du jeune homme était étendu dans toute sa splendeur. Un beau cadavre frais et livide. Il avait été posé là, comme un ornement, en étoile sur le carrelage. Il n’y avait rien d’autre que lui dans la petite pièce hormis les quatre spots sur pied qui l’éclairaient. Jonas se pencha au-dessus de la victime et l’inspecta. Rien. Une fois de plus, les yeux grand ouverts du mort fixaient le plafond comme s’il y cherchait la réponse simple à une question compliquée.
C’était le quatrième en un mois et rien ne dérogeait à la règle. Jonas savait déjà qu’ils ne trouveraient rien de plus que d’habitude à la morgue. Un poison lent, pas d’arrêt cardiaque soudain. Comme si les victimes mouraient paisiblement dans leur sommeil sans fermer les yeux. Ils étaient tous des étudiants blancs et athlétiques, des Ken sans Barbie. Une plastique statuaire sans aspérités. La seule piste que Jonas avait pour l’instant était un photographe amateur très attiré par les autopsies.
Il s’appelait Barnabé et avait seize ans. Ce prénom était un destin. Quand tous vos camarades vous surnomment Babar depuis la maternelle, il y a de quoi être porté sur le macabre. Son premier cliché « artistique » était un chat mort trouvé au détour d’une poubelle. Il était tout sec, le froid de l’hiver avait dû le condamner. Très ému par le résultat, Barnabé poursuivit son œuvre photographique en rôdant près des abattoirs. Mais le sang n’était pas son élément.
Il demanda à faire son stage d’observation de troisième dans les pompes funèbres locales. Contre toute attente sa demande fut acceptée. Il put enfin approcher ce qui deviendrait sa passion : l’humain post-mortem. Pendant deux ans, il vint régulièrement aider l’embaumeur contre un peu d’argent ; cela lui permit d’investir dans du meilleur matériel et d’améliorer ses techniques photographiques. Il devint alors le photographe officiel des pompes. Ce n’était pas rien pour un adolescent. Ses parents étaient très fiers.
Jonas rencontra pour la première fois Barnabé à la cérémonie précédant l’enterrement de la troisième victime. C’est l’adolescent qui vint vers lui à la fin de l’office pour lui soumettre timidement une requête. Il voulait savoir s’il était possible de venir voir une future victime, s’il y en avait, avant l’autopsie. Il expliqua à l’inspecteur sa passion pour les corps et son rêve d’en voir dans le meilleur état possible. Jonas n’en revint pas qu’un suspect aussi évident soit si transparent et accepta.
Ils se retrouvent seuls cinq jours plus tard dans la salle d’examen post-mortem devant le quatrième corps. Barnabé regarde son œuvre étendue comme une chrysalide dans son cocon de plastique ouvert. Jonas pose doucement sa main sur l’épaule du garçon.
– Tu veux prendre une photo ?
Barnabé sourit, visiblement très ému, et sort son appareil. Il s’approche lentement du corps et soulève délicatement les paupières du défunt. Jonas sort en silence ses menottes et chuchote alors une dernière question.
– Pourquoi veux-tu que tes victimes gardent toujours les yeux ouverts ?
Barnabé répond dans un souffle avant d’appuyer sur le déclencheur.
– Pour qu’elles restent vivantes.