Short Nouvelle #40 – Le ver de l’amitié

hookworm-fig7.JPG

C’est pénible de découvrir toujours la même chose. Encore et encore cette impression de tas de fiente qui dégringole en bas de la montagne. Ce n’est plus le mythe de Sisyphe, mais celui du bousier. Refaire sa petite boule de détritus et l’amener sous le microscope dans l’espoir d’y trouver enfin une réponse. Je n’avais pas signé pour ça à la base. Je savais bien que je ne découvrirais pas le prochain vaccin universel, mais de là à passer vingt ans à observer de la merde…

Et encore, je n’ai pas trop à me plaindre, j’aurais pu être laborantin ! Eux, ils n’ont même pas l’autorité scientifique à pouvoir porter en sautoir, ils ne sont que de simples exécutants. Ce sont les travailleurs à la chaîne du monde scientifique. Et en ce qui concerne mon domaine — qui est un peu ce qu’est la proctologie dans le domaine médical, soit la vocation que l’on ne choisit pas — ils sont essentiels. Sans eux, je n’aurais rien à analyser. C’est eux qui trient et qui m’envoient les seuls éléments dignes d’intérêt.

Et aujourd’hui, j’ai eu un élément étrange. Ce n’était pas un échantillon habituel. Ou plutôt, pour être plus précis, il ne comportait pas une anomalie commune. Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive — heureusement — mais, je ne sais pas, là il y avait un truc particulier. Le ver ne bougeait pas comme les autres. Il était plus lent. Comme s’il était fatigué. Comme s’il en avait un peu marre de s’acharner à atteindre son but. Comme s’il était déprimé…

Bon, j’ai bien conscience que d’associer des sentiments à un parasite fécal n’est pas d’une grande rigueur épistémologique, mais comme je n’ai jamais vraiment compris ce que ce mot voulait dire, ce n’est pas très grave. D’autre part, je ne crois pas que d’avoir de l’empathie avec son sujet soit un mal. Si j’arrive à saisir ce qui a amené cet être vivant à devenir amorphe et à abandonner son rôle de détracteur de la bonne digestion de mes contemporains, je trouverais peut-être quelque chose de fondamental. Enfin.

Surtout que la psychologie d’un parasite microscopique, bien que multicellulaire, n’est pas d’une complexité monstrueuse. Du coup j’ai essayé de le stimuler. Je lui ai mis de la musique. Rien. Je l’ai aspergé de lumière colorée via un prisme. Rien. J’ai même essayé de touiller son environnement afin de l’entraîner dans un mouvement factice, mais non, rien à faire. Je crois que c’est pire et qu’il boude. Puis j’ai eu une idée à la con qui n’aidera en rien ni ma carrière ni la science.

Je lui ai amené un autre de ses congénères et, là, c’est devenu la fête dans le Pétri ! Mon ver a repris vie ! Malgré l’inutilité de mon expérience, je prends ça pour une petite victoire personnelle. J’ai rendu un être vivant heureux et ça ne m’est pas souvent arrivé. C’était un ver qui n’en avait rien à faire de son rôle tant qu’il n’était pas accompagné, il avait un vrai sens des priorités. Je n’ai pu en parler qu’aux laborantins. Ça les a bien fait rire et ils m’ont offert un coup à boire pour célébrer ma « découverte ».

Vous pouvez commenter, partager et aussi me suivre sur Twitter et Facebook en cliquant ici et .

Publicité

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s