Short Nouvelle #42 – Comme tout le monde

 

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Je n’ai plus la force de continuer. Trop d’incertitudes, trop de responsabilités, trop de conséquences sans reconnaissances. C’est ça le problème quand on a choisi d’être seul et qu’on n’a pas le courage de s’aimer. La confiance que je me porte est toujours en fonction d’un résultat que je ne m’approprie jamais, sauf quand c’est mauvais. Ce sentiment permanent que ce n’est pas moi qui fais ce que je fais. Alors, autant commencer à suivre le mouvement, s’accrocher à la rampe du tapis roulant et rester debout.

Tout va mieux depuis que j’ai arrêté de conduire ma vie. J’avance doucement et sans aucun effort sur cette droite linéaire. Plus aucune angoisse. Plus de questions. Plus rien. Uniquement un travail à faire commandé par quelqu’un, quelque part, pour une entreprise sans nom. Une routine salvatrice qui me permet d’avoir le meilleur sommeil que je n’ai jamais eu. Mon seul souci de la journée est de savoir ce qui va me distraire le soir. Et j’ai enfin l’impression de mériter mes loisirs. Je ne suis plus un parasite.

Je recommence à sortir le weekend. À boire des verres avec des amis perdus que je ne voyais plus par honte de ma non-réussite. Je suis comme eux, maintenant. Nous pouvons partager des événements communs. Le salaire, les conditions de travail, notre rapport à la hiérarchie, etc. Il n’y a qu’en ce qui concerne la culture où je suis encore un peu en décalage. Quoique… En piochant à droite et à gauche dans le goût des autres, j’arrive à m’y retrouver et créer des liens.

Je me fais à manger ! J’ai moins de temps qu’avant, mais, paradoxalement, mon activité normée me donne envie de cuisiner. Je recommence à regarder la télé, aussi. Marre d’être largué dans les conversations de bureau. Je suis réintégré. Hier soir, je me suis surpris à respirer. Aucun poids. Une poitrine libérée. Ma libido en a profité pour se rappeler à moi, l’autre jour, quand j’ai observé cette personne que je n’avais jamais remarquée. J’avais oublié ce désir, le désir du corps étranger.

Nous sommes allés au restaurant. Nous avons beaucoup parlé. Et même ri. Cela faisait tellement longtemps que je ne faisais plus rire personne. Je lui ai effleuré la main. Mes 17 ans… À la fin de la soirée, nous nous sommes embrassés devant la porte de son immeuble et nous sommes dit « à demain » en souriant bêtement. Pour la première fois en dix ans, je suis rentré chez moi avec l’espoir d’un avenir réel. Quelque chose qui ne serait plus fictionnel. J’ai pensé « enfant », « maison », « famille ».

Voilà, j’ai tout brûlé. Tous mes tableaux. Une vie rêvée partie en fumée dans un dernier cauchemar. Maintenant, finis les fantasmes, je n’ai plus rien à créer. Il ne me reste qu’à suivre le chemin tracé par des millénaires de vies simples et sans histoires. Je suis heureux, même si mon sourire est un peu figé. Un peu obligé. Un peu faux. Comme celui des saints béats agonisants sur leur croix. Comme celui qui force les lèvres du masque mortuaire. Comme celui de l’homme qui ne veut pas montrer qu’il a cessé d’exister.

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