Les Aventuriers du Quotidien #2 : Lamine (part.3)

lamine

Lamine est démonstrateur en grand magasin et veut devenir pâtissier. Il a été juriste, chef d’entreprise et élu PS. Voici son histoire…

Le texte est intégralement celui qui est sorti de la bouche de Lamine. Je n’ai fait que l’arranger pour que son oralité soit lisible. Tous les passages entre parenthèses et en italique sont des précisions de ma part. Les parties précédentes sont ici : Les Aventuriers du Quotidien #2 : Lamine (part.1) et Les Aventuriers du Quotidien #2 : Lamine (part.2).

Retour en France

Je fais toute ma scolarité à Stains. Je passe mon bac éco (Bac ES) à Paris en 92 — la veille de mon oral d’arabe, le président algérien s’était fait assassiner… Je fais une fac de droit après, à Villetaneuse, Paris Nord, 17 000 étudiants, campus. C’est ce que je voulais, moi, un campus. Je ne voulais pas des bâtisses comme à Tolbiac (faculté parisienne intra-muros), je voulais une vraie fac. Je foire ma première année parce que la fac après le lycée, c’est la teuf… Mais je ne suis même pas déçu, même si, comme j’ai un statut d’étudiant étranger, donc de toute façon il faut que je fasse des études. Si je ne suis pas étudiant, je rentre en Algérie. Et si je rentre en Algérie, je fais l’armée… C’est donc hors de question et je fais cinq années de droit.

J’obtiens une maîtrise de droit public, histoire de me dire que si je suis français, je pourrais faire les concours administratifs, mais en 96 on me refuse la nationalité française. Enfin, on ne me la refuse pas, parce qu’on ne te la refuse jamais, on t’« ajourne »… Tu peux la demander, hein, mais on « ajourne »… Donc là, j’ai un peu les boules. Mais — intérêt d’avoir fait du droit — je connaissais l’ordonnance de 45 qui dit que « tout enfant né de parents français a le droit à un titre de séjour en France ». Et comme mes parents sont nés français de parents français et qu’ils ont le droit du sol, je réussis à obtenir ma carte de séjour de dix ans. Et la première chose que je me dis c’est : « j’arrête les études ». Non pas parce que je n’avais pas aimé ça, au contraire, mais parce que j’étais gavé. J’avais toujours dit « c’est moi qui les arrêterai, ce n’est pas eux qui m’arrêteront ». J’allais enfin pouvoir travailler, vu qu’en tant qu’étudiant tu n’as pas le droit de travailler plus d’un tiers temps… Je refais alors ma demande de nationalité française en me disant qu’avec ma carte de séjour, ça sera plus facile. Ça m’a pris quatre ans de plus, mais en 99, je l’ai.

Donc, après la fac, je pars bosser avec un oncle à moi qui est traiteur, car je ne voulais surtout pas tenter le concours d’avocat. J’en avais un peu marre des études et ça m’aurait pris trois ans de plus pour accéder au barreau et commencer tout en bas de l’échelle. Donc je deviens maître d’hôtel avec mon oncle et je fais les réceptions. Je n’avais pas eu besoin de formation, vu que toute la famille a été dans la restauration à un moment où un autre, de par mon grand-père. À quatorze ans, je servais déjà dans les restaurants de mes oncles ou de mes tantes, donc les codes, je les connais. Ça me permet alors de gagner un peu d’argent. J’avais 24 ans et pas encore d’appartement.

Ça dure jusqu’en 99, donc, où là, puisque j’ai eu ma nationalité, je peux tenter les concours administratifs. Mais ils prennent trente personnes sur 30 000, donc, bon… Puis je le fais plus pour le « faire ». Il n’y a qu’un seul concours qui m’intéresse, c’est le concours de greffier. Mais le problème du concours de greffier, c’est qu’il faut être français depuis trois ans et que je ne peux pas le tenter (il venait juste d’avoir sa nationalité française). Mais le destin fait que mon oncle connaît un militaire qui fait partie de l’UGAP — c’est un groupement d’achats publics qui dépend du ministère de la Défense, c’est le plus grand groupement d’achat public d’Europe. Et ce militaire-là décide de créer sa propre boîte et d’aller aider les sociétés à répondre au marché public.

Il cherche donc un juriste et mon oncle lui dit : « je connais quelqu’un : mon neveu ». Or, il se trouve que d’habitude on ne cherche que des juristes spécialisés dans le privé, ce qui n’était pas mon cas, et voilà quelqu’un qui monte une société d’assistance à marché public. C’est comme s’il avait créé la boîte pour moi. C’était exactement ça que je pouvais et voulais faire. Donc on se rencontre et je passe une entrevue avec ce militaire : moustachu, coupe en brosse. Il n’a pas l’air facile. On discute et il me dit : « Bon, ça m’intéresse. Tu sais ce qu’on va faire ? Tel jour, on va avoir un formateur en marché public qui va venir et on aura quelques clients qui seront là. Ça ne te dirait pas de venir pour donner ton avis ? ». Je lui dis : « Pas de soucis ». Et quand j’arrive le jour J, il y a plein de gens et le mec qui nous explique les marchés publics. J’écoute et je comprends forcément ce qu’il raconte. Je pose quand même quelques petites questions parce qu’il y a quelques trucs où je ne suis pas trop d’accord, mais c’était surtout pour me faire mousser et montrer que je maîtrisais aussi le sujet…

Et au bout d’une semaine, il (le militaire) me rappelle et me dit que c’est bon. Donc j’arrive dans l’entreprise et commence à regarder les mecs qui travaillent dedans et c’était tous ceux que j’avais vus une semaine avant. Ce n’était pas des clients, c’était tous des collaborateurs de la boîte qui venaient de l’UGAP et qui avaient 20 ans de marché public dans les pattes. Ils m’avaient fait passer un test et ils me disent que tout s’est bien passé. J’intègre donc la boîte et je suis très vite comme un coq en pâte. Il n’y avait aucun souci, tout passe par moi. Il voit que je suis intransigeant et que je ne suis pas impressionné par les sommes — il y a des clients qui viennent pour des marchés de quarante millions, cent millions — et que ça ne m’atteint pas et que je gère. Donc, très vite, il fait passer tous les marchés par moi. Je n’ai pas un salaire extraordinaire, mais je suis très bien, tout va bien. À l’époque je gagnais à peu près 1500 euros par mois.

Au bout de deux années de travail, la boîte commence à accuser quelques difficultés financières. Et je le vois parce que j’ai mes salaires qui rentrent et qui ressortent juste après : des chèques sans provision. Le patron commence à tirer la langue et je lui dis : « Bon, vu les dettes qui s’accumulent et ma situation, on va peut-être s’arrêter là ». Il l’accepte tout à fait et me fait même une reconnaissance de dettes. Six mois plus tard, la boîte fermait… Mes collègues se retrouvent dans la même galère que moi avec leurs salaires impayés et ils me demandent ce qu’on peut faire. Et je leur dis qu’il faut faire une action collective contre l’administrateur de la boîte fermée, c’est à dire l’URSSAF, tout ça… Du coup ils vont voir un avocat qui leur demande des sommes ! Je ne sais pas, il voulait se construire une nouvelle piscine chez lui… Je crois que c’était 3000 euros par personne et on était cinq. C’est un peu beaucoup. Moi, je vais dans ma ville — coco, Stains — donc je vais à la CGT. Je vois le délégué syndical et je lui dis : « Bon, qu’est-ce que je peux faire ? Parce que nous, on n’a pas beaucoup d’argent et on a besoin d’un avocat. » Et il m’explique : « Ouais, ben ton affaire elle est gagnée d’avance, mais tu auras quand même besoin d’un avocat. Je m’en occupe, je vais t’appeler quelqu’un ». Il nous trouve quelqu’un. Il nous prendra 600 euros par personne et encore, qu’une fois qu’on avait reçu l’argent de l’URSSAF.

Donc en prévision de ce que j’allais recevoir, je décide de monter ma boîte avec mon cousin, un technico-commercial en informatique. Il me dit qu’il y a un business là-dedans et je le suis. Le seul souci c’est qu’on ne va pas le faire à Paris, on va le faire à Blois. Le procès arrive et je récupère une belle somme que j’investis en partie dans la boutique. Une boutique de jeux vidéo et d’informatique. On vend surtout des jeux vidéo, mais on propose aussi des montages d’ordinateurs pour les gamers. Au bout d’un an, mon cousin peut se servir de son carnet d’adresses professionnel (c’est une carence obligatoire pour un agent commercial quand il quitte une entreprise) et on se met à vendre de tout dans le domaine de l’informatique, de l’occase — obligé — et du neuf. Je me retrouve à gérer la boutique pendant qu’il cherche les clients. Ça marche bien et même sur internet, car on devient vendeur Amazon. Mais très vite, on se rend compte qu’on ne marge pas. Dans l’informatique, les marges c’est cinq, huit pour cent. Du coup on a essayé de se caler sur Amazon dans l’idée de vendre la boutique et de prendre juste un bureau. On arrête les jeux vidéo et on se concentre sur les ordinateurs, mais malgré tout, ça ne marge toujours pas assez. Et au bout de deux ans, on ne pouvait pas suivre. Tous les gros marchés nous passent devant le nez parce qu’on n’est pas assez gros, on n’est pas assez puissant. Donc on dit stop. Et puis je commençais à en avoir un peu marre de la province, pour dire la vérité. C’est sympa Blois, mais à un moment donné, ça devient fatigant…

La suite mercredi prochain.

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