Juliette n’en revient pas qu’on lui ait envoyé cette bombe factice. Est-ce une menace ? Veut-on qu’elle meure ? Ou peut-être est-ce une mauvaise plaisanterie ? Ceci dit, elle est bien mignonne, cette bombe. Toute ronde. Toute noire. Avec sa petite mèche qui dépasse. Une vraie bombinette de dessin animé. Cela doit sûrement être une blague de Clémentine, ce ne serait pas la première fois. Oui, ça doit être ça. Juliette saisit son téléphone et appelle son amie.
Mais Clémentine, après avoir ri très fort de la situation, jure sur la tête de son fils préféré qu’elle n’y est pour rien cette fois-ci. Juliette raccroche et essaie de trouver une explication rationnelle à cette absurdité en tapotant son smartphone sur sa lèvre inférieure. Et si c’était une injonction ? Du genre : « il est temps de passer à l’acte, ma fille ! » Mais quel acte ? Elle a un métier stable qu’elle adore et n’a aucune idéologie particulière. Du moins pas plus que le socialiste moyen.
Elle se souvient alors de son frère et des têtes de brosses à dents électriques que leur mère lui avait envoyées depuis l’Allemagne un peu avant le jour de l’an. Est-ce encore une lubie de sa bien aimée génitrice ? Elle avait toujours été détestable avec elle et son frère, mais, depuis sa retraite, une espèce de folie étrangement bienveillante semble l’avoir atteinte. Désormais, outre le fait qu’elle parte en voyage tous les quinze jours, elle prend des nouvelles de ses enfants chaque dimanche via Messenger.
Mais cette version maternelle brusquement nouvelle — bien que préférable à l’ancienne, plus proche de Cruella que de Mary Poppins — ne peut pas être à l’origine du colis anonyme. Non. Sa mère n’a aucune imagination et l’idée d’envoyer quelque chose d’aussi grotesque à sa fille n’est pas encore dans ses prérogatives. Juliette se saisit de la bombe et la tourne dans tous les sens afin d’y trouver un éventuel indice. Elle est quand même bien lourde…
Dans un éclair de génie qu’elle aurait pu avoir une heure plus tôt, elle tire sur la mèche. Celle-ci vient sans difficulté malgré une longueur étonnement longue aux vues de son inutilité technique. Il y a une légère résistance quand elle arrive au dernier centimètre et tire un peu plus fort. La mèche cède d’un coup sec et une fumée blanche se met à sortir. Juliette ne peut s’empêcher de pousser un cri de nourrisson apeuré et jette la bombe. Elle fait un petit « ploc » en atterrissant sur le lino et se brise en deux.
Avant qu’elle ait le temps de voir sa vie défiler devant elle, Juliette réalise qu’il n’y a pas trop de risques que son corps se retrouve éclaté sur les murs à cause d’une bombe en plastique. Tout en chassant la fumée de la main, elle réfléchit un instant au sens que prend son existence puis s’approche de la bombe. Au milieu des restes, elle aperçoit un gros galet sur lequel est écrit au marqueur :
« Je vais passer vers chez toi la semaine prochaine, je pourrais venir te voir ?
Papa »