Premier janvier. Je me suis levé sans trop de gueule de bois. J’avais pourtant pas mal picolé, mais il faut croire que le Freixenet me convient. J’ai remis mes habits de la veille et suis allé dans la salle de bain. Un coup d’eau sur le visage, histoire de sortir des limbes et d’avoir une impression de propreté. Un regard dans le miroir et une sensation acceptable de ne pas être tout à fait foutu. Il ne manque plus que le café et la journée pourra prendre son immuable départ.
Le café se réchauffe comme un derviche dans le micro-onde. Je réalise que ce troisième réveillon en solitaire était le meilleur. L’immeuble était vide, tous mes voisins étant allés dispenser leurs obligations festives dans des endroits moins exigus. Le silence. Et une vraie impression d’être le dernier survivant d’une planète dévastée. Ce n’est pas que je souhaite la disparition de mes congénères, mais, parfois, je me rêve parfaitement seul et sans contraintes sociales. L’individualisme total.
J’allume l’ordinateur et entame mon quotidien. Le café fume légèrement dans mon mug en forme de chat en colère. Le radiateur chauffe lentement, mon corps aussi. Les infos défilent : Champs-Élysées, vœux, un mort dans une tempête, la Corée du Nord veut la paix avec celle du Sud tout en voulant faire exploser les États-Unis… Une vidéo d’un homme noir qui chasse infiniment le reflux de la mer avec une raclette pour le sol… Un article sur le fait que notre monde n’est pas si pourri…
Ça frappe à la porte. C’est mon voisin. Il a un paquet à la main. « … le facteur s’est trompé avant-hier et nous a donné ça, alors que c’était pour vous. J’étais passé vous le donner, mais vous n’étiez pas là et comme hier on n’était pas là non plus. Voilà… Vous allez bien sinon ? Parce que moi, depuis mon accident à la hanche, je… ». Je ne l’écoute pas et observe le paquet. Je n’ai rien commandé. Je ne commande jamais rien. Je ne vois pas d’expéditeur, mais il m’est bien adressé.
Une fois libéré de mon voisin, je retourne à mon bureau et pose le paquet devant moi. Il me fait peur. Qui peut bien m’envoyer quoi que ce soit et, surtout, quelle conséquence cela aura ? Faudra-t-il que je fasse quelque chose en remerciement ? Une lettre ? Un mail ? Fait chier. Un cadeau c’est toujours la promesse d’une obligation future. Une dette imposée. Je déteste ça. Et si c’était Solange qui me renvoyait des trucs qui traînaient chez elle ? Peut-être cet album que je lui avais offert…
Des brossettes de rechanges pour ma brosse à dents électrique. Cinquante. Et c’est tout. Pas un mot. Rien. Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? Et puis je me souviens. Ma mère est partie en Allemagne il y a un mois et m’avait demandé si je voulais quelque chose, elle m’avait alors parlé des brossettes pas chères. Je lui avais dit non et voilà… Elle aurait pu m’envoyer une carte avec un simple « Fuck you with love, my son », ça aurait été pareil. Dans tous les cas, c’est le jour de l’an et je vais changer ma brosse à dents.
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