Gérard-Gilles est kiosquier depuis plus de trente ans. Voici son histoire…
Le texte est intégralement celui qui est sorti de la bouche de Gérard. Je n’ai fait que l’arranger pour que son oralité soit lisible. Tous les passages entre parenthèses et en italique sont des précisions de ma part.
Origines
Moi je suis un autodidacte parfait. Je suis parti de chez moi, j’avais quinze ans. Mon père était douanier et ma mère elle travaillait au contrôle des bijoux, à la garantie.
Je suis arrivé en France dans les années 60, je suis né en Algérie. Je suis Kabyle/juif. Ma mère elle s’appelle Allouch. Ma famille, elle a tout le temps vécu là-bas. C’était bien avant les Français et même bien avant les musulmans, en fait. On associe toujours le juif aux pieds-noirs en Algérie, alors qu’en réalité, c’est une minorité. C’est en 1870 qu’on a envoyé des Français pour coloniser l’Algérie, c’était des juifs et des communards. Alors que nous on y était depuis tout le temps. C’est ce qu’on appelle ici (en France) des juifs kabyles ou des juifs arabes. Et c’est très récent que des gens comme moi revendiquent ça, parce qu’avant, quand on nous disait pieds-noirs, on ne disait rien. Nous, on s’est retrouvé français grâce à Crémieux. Lui il a fait un décret qui disait que tout ce qui n’est pas musulman en Afrique du Nord est français. C’est pour ça que tu as plein d’Italiens, d’Espagnols et de juifs qui se sont retrouvés français. Alors que nous, on était considéré comme autochtones. Moi, ma grand-mère qui était née en 1886 je crois, elle me disait que ses arrières-grands-parents étaient déjà nés en Algérie, donc ça te ramène en 1700 et quelques…
Je suis arrivé en France, j’avais 3 ans. Parce que mon père, comme il était dans les douanes, il avait pour mission (en Algérie), à l’indépendance, d’assurer la jonction entre la douane française et la douane algérienne. Le problème c’est que ma mère elle a trop eu peur à Alger et qu’en 63-64, elle a dit qu’il fallait se tirer. Il commençait à y avoir des épurations et pas mal de choses comme ça. Du coup, ils sont partis en vacances (en France) et ils ne sont jamais revenus. Mon père il a dit, moi je ne retourne pas là-bas et donc, on s’est retrouvé en France en 64, je crois. Mais je ne m’en rappelle pas du tout.
J’ai fait mes études à Saint-Denis, c’est là que j’ai grandi. Quand on est arrivé en France, on s’est retrouvé à Montreuil dans un studio où on était six : ma grand-mère, un oncle, mon frère, mes parents et moi. Et après un an, mon père a eu un appartement de fonction à Saint-Denis entre la cité des 4000 et Franc-Moisin. C’est pour ça qu’a quinze ans, j’ai eu envie de vite dégager. J’avais qu’une envie c’était de voir autre chose.
Je suis resté à l’école jusqu’en terminale philo, mais en réalité je travaillais déjà. Je travaillais dans le bâtiment du vendredi soir au lundi matin sans interruption ce qui me permettait de travailler la semaine à l’école. On commençait le vendredi soir à huit heures et on finissait le lundi matin à huit heures au black, évidemment. On avait une pause d’une demi-heure toutes les quatre heures. Je faisais poseur de moquette alors que je n’y connaissais rien, il faut être honnête. À l’époque j’habitais en foyer Sonacotra. Je me suis tiré avant le bac parce que j’avais demandé à mon prof de philo « qu’est-ce que je peux faire avec ce bac ? » et qu’il m’a répondu « passer les concours d’administration ou devenir prof de philo ». Cinq ans d’étude, ce n’était pas fait pour moi et concours d’administration, encore moins. De toute façon comme je travaillais déjà depuis mes quinze ans… Du coup quand mon prof m’a dit ça, je me suis dit qu’il fallait que je trouve autre chose et j’ai passé un CAP de joaillier.
Après avoir cherché dans tout Paris, je me suis trouvé un atelier. Le mec m’a fait faire un dessin et il a vu que je dessinais bien. Parce que ça voulait dire que si je dessinais bien, manuellement j’allais pouvoir me démerder. Je suis rentré comme ça et j’ai fait un apprentissage de trois ans. Mais comme ça ne me permettait pas assez de vivre, l’apprentissage, j’avais un double boulot : je travaillais la journée comme apprenti et le soir, je travaillais (pour le patron) pendant quatre heures comme jeune ouvrier. Parce qu’apprenti, c’est bien gentil, mais, surtout quand tu commences, tu ne peux pas en vivre. Tu étais payé un tiers du SMIC, un truc comme ça. J’en avais parlé au patron et il avait été sympa, il m’avait fait un double contrat. Mais ça m’a permis de savoir une chose, c’est que je ne travaillerais jamais en atelier après. L’atelier, ce n’est pas fait pour moi. Voir toujours les mêmes gens, connaître la blague à l’heure près du collègue… Et puis j’avais un chef d’apprentissage, un chef d’atelier, un chef de production et les deux patrons. Ça faisait beaucoup de chefs et moi, les chefs, je n’ai jamais pu supporter. En politique comme en religion, je suis athée. Je ne crois pas au messie. Je n’aime pas les chefs.
(Je me suis entretenu avec Gérard dans son kiosque et, durant notre conversation, des clients nous ont évidemment interrompus régulièrement. Mais la réaction que Gérard a eue face à cet ancien habitué qui repassait dans le quartier m’a beaucoup plu. Ce client lui expliquait que, maintenant qu’il était à la retraite, il revenait bosser de temps en temps, par plaisir. Et Gérard lui a dit en se marrant : « Quand on n’est plus obligé de bosser, il n’y a pas mieux. Le boulot, le pire, c’est quand on est obligé »)
La suite est ici : https://lekrass.wordpress.com/2017/07/12/les-aventuriers-du-quotidien-1-gerard-part-2/
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Merci bon Bidou !
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