Gérard-Gilles est kiosquier depuis plus de trente ans. Voici son histoire…
Le texte est intégralement celui qui est sorti de la bouche de Gérard. Je n’ai fait que l’arranger pour que son oralité soit lisible. Tous les passages entre parenthèses et en italique sont des précisions de ma part. La première partie est ici : Les Aventuriers du Quotidien #1 : Gérard (part.1)
Le Kiosque
J’ai commencé kiosquier en 85, après l’armée. J’avais 24 ans.
J’étais dans un café où mon oncle travaillait, porte de Saint-Ouen. À côté de moi il y avait une dame qui parlait avec un monsieur à qui elle disait qu’elle était dans la merde parce que quelqu’un devait la remplacer au kiosque en juillet et qu’il l’avait plantée. On était genre à quinze jours de juillet. Et moi, la dame, je lui ai dit : « Je suis le neveu du monsieur qui travaille derrière le bar et je cherche un boulot pour l’été, j’adore la presse et, si vous voulez, je peux faire un essai ». Elle me dit « pourquoi pas » et me dit de venir (au kiosque qu’elle tenait) gare de l’Est.
J’étais censé la remplacer un mois, mais elle était partie au Brésil et, du coup, tous les mois elle me demandait si ça m’intéressait de faire un mois de plus. J’ai tenu six mois son kiosque comme ça. Si bien que quand elle est revenue et qu’elle était contente parce que son kiosque était bien gardé, elle m’a dit « si tu veux, si j’entends parler d’un kiosque j’essaierais de t’en faire avoir un ». Et genre six ou sept mois après, elle m’appelle et elle me dit : « alors voilà, si tu veux, il y a un kiosque, mais je te dis tout de suite ça va être une merde, tu vas perdre six mois, un an, mais tu peux rentrer dans le métier tout de suite ». Ce kiosque, il y en avait 72 qui l’avaient refusé avant moi. Et la mairie de Paris, ils étaient baisés, parce que c’était un kiosque qui avait été fermé pendant quatre ans et s’ils ne l’ouvraient pas tout de suite et qu’ils ne trouvaient pas un con pour mettre dedans, ils étaient obligés de le raser. Et la mairie de Paris, ils ont horreur de ça.
À l’époque, tu ne rentrais pas dans les kiosques comme ça. À l’époque, les kiosques, ça s’achetait. Comme les taxis, pareil. Il y a des mecs qui venaient et qui donnaient tant de fric au kiosquier, le kiosquier se présentait à la mairie de Paris et voilà, tu reprenais le kiosque derrière. C’était absolument interdit, mais tout le monde le faisait. Mais moi, la seule façon que j’ai eue de rentrer dans le métier c’était de prendre un kiosque que personne ne voulait.
Le kiosque était à Iéna. Il était devant le musée Guimet puis ils l’ont transféré dans un petit coin où il est resté fermé pendant quatre ans. Ça veut dire que les gens le voyaient fermé depuis quatre ans et qu’ils le regardaient même plus. Le premier jour où j’ai ouvert, j’ai vendu un journal dans la journée. Là, je me suis posé des questions… En plus c’était en 86, l’année où il a fait des moins 15, moins 20 à Paris, et moi je n’avais pas d’électricité dans mon kiosque, donc pas de chauffage, pas de lumière, rien. Une galère… J’ai commencé la pire année. Je suis resté 6 mois à Iéna et je me suis tiré. Depuis je suis dans le troisième à République.
J’adore lire, j’adorais la presse et j’étais indépendant. Ça m’a plu et c’est devenu mon métier. Ça m’a permis de faire d’autres choses à côté en dehors du travail. Rencontrer plein de gens, des trucs de la vie de tous les jours. J’étais serein, je gérais mon temps comme je le voulais… J’étais au kiosque jusqu’à 17 heures par jours, pour les potes, le kiosque, ça devenait la maison. Ça n’était plus du tout un endroit commercial. Tu venais le soir, tu avais quinze, vingt mecs qui passaient me voir. C’était un relais, quoi… On aurait dit que je vivais dedans. Ce n’était pas une contrainte, ça ne gênait ni moi ni mes potes. À part me lever le matin, contrairement à maintenant. Maintenant, c’est le soir que j’ai le plus de mal. À l’époque, on commençait à cinq heures et demie, quand même. Il fallait qu’on ait tout fait à l’heure du premier métro et le soir je fermais entre minuit et minuit et demi. Et tout ça six jours par semaine. Après, j’avais des potes qui venaient me remplacer, je m’arrangeais…
Ça m’a permis de connaître plein de gens dans plein de domaines différents. C’est vrai que c’est le côté agréable du commerce et d’un commerce régulier comme la presse. Tu as le temps de tisser des liens avec des gens, tu as le temps que les gens ce ne soit pas juste des clients.
Un kiosquier, ce n’est pas difficile de voir ce qu’il pense, il suffit de voir ce qu’il met en avant. Quand j’étais à Iéna dans le 16e, je faisais tache. À l’époque c’était le 16e bien à droite. Paradoxalement, c’est ce qui m’a sauvé aussi. Parce que les gens de gauche qu’il y avait là-bas venaient tous me voir. Il y avait le gars de la cinémathèque, par exemple, il m’adorait. Il était de gauche et je devais être un des rares kiosques de gauche où il trouvait la presse de gauche dans cet arrondissement. Il y avait aussi Ivan Levaï, qui, pour le 16e, était à gauche. Il y avait la directrice de Christian Dior, je crois, qui était à gauche aussi… J’ai connu leur fonction à force de les voir et au fil des discussions. C’est comme ça qu’ici, dans le troisième, François Cluzet m’a appris que son père était vendeur de presse.
Quand je suis arrivé dans le quartier de République, j’ai révolutionné les kiosques. Ils fermaient tous à 19 heures et moi je fermais à minuit. Du coup, évidemment, ça a commencé à faire jaser… Les gens voyaient toute une bande, les clients ne savaient même pas à qui payer, ils ne savaient même plus où ils étaient. En plus, ça sentait le bédo, on n’en avait rien à foutre. On était jeune, on était là pour rigoler.
J’ai fait toute ma carrière ici. Il y a des gens dans le quartier que j’ai vu dans le ventre de leur mère, aujourd’hui, c’est eux qui sont parents.
La suite est ici : https://lekrass.wordpress.com/2017/07/19/les-aventuriers-du-quotidien-1-gerard-part-3/
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Cool ! Je veux la suite !
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Merci !
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Pareil que Mathieu!! *-*
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et top la photo!
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